Mois de la Fierté 2022 : Entretien avec Drs Warren Fingrut et Murdoch Leeies

Juin est le mois de la fierté et le PRDTC reconnaît tous les membres 2SLGBTQIA+ de la communauté du don et de la transplantation et de la communauté de la recherche. Le PRDTC cherche à accroître l’équité, la diversité et l’inclusion dans toutes ses activités, y compris la recherche, l’éducation et le développement de carrière, les partenariats avec les patients, les familles et les donneurs, et la gestion du réseau. Nous sommes reconnaissants de travailler avec des chercheurs qui accordent de l’importance à ces questions et qui s’efforcent d’améliorer les disparités qui existent encore dans la communauté du don et de la transplantation.

La gestionnaire des communications du PRDTC, Stéphanie, s’est récemment entretenue avec le Dr Warren Fingrut, hématologue transplanteur, fondateur et directeur du Stem Cell Club, et le Dr Murdoch Leeies, médecin spécialiste du don d’organes, de la médecine des soins intensifs et de la médecine d’urgence, et directeur de la recherche au département de médecine d’urgence de l’Université du Manitoba. Les deux chercheurs s’efforcent activement d’inclure des éléments d’équité, de diversité et d’inclusion dans leur travail et de faire en sorte que chacun ait une chance égale d’accéder au don et à la transplantation d’organes, de cellules et de tissus.

Apprenez-en plus sur Dr Warren Fingrut ici.
Apprenez-en plus sur Dr Murdoch Leeies ici.
Une portion de votre travail porte sur l’équité, la diversité et l’inclusion dans le don et la transplantation au Canada. Qu’est-ce qui vous a motivé à développer la recherche dans ce domaine ?

Dr Warren Fingrut

Lorsque j’ai commencé à travailler comme bénévole lors des collectes de moelle osseuse en 2009, j’ai été ému par les histoires de patients qui avaient besoin d’une greffe de cellules souches mais ne pouvaient trouver de donneur nulle part dans le monde. Et j’ai appris que des patients d’origines ancestrales diverses étaient confrontés à des disparités dans l’accès à des donneurs de cellules souches non apparentés. J’ai fondé le Stem Cell Club en 2011 pour remédier à cette disparité. J’ai constitué des équipes dans des campus universitaire à travers le Canada, élaboré une formation pour les recruteurs et des ressources pour soutenir les efforts de mise à l’échelle et, au cours de la décennie qui a suivi, j’ai supervisé le recrutement de plus de 22 000 donneurs, dont plus de la moitié étaient d’origine non européenne. J’ai commencé à vouloir en savoir plus sur les obstacles au don auxquels sont confrontées certaines communautés racialisées/ethniques et à m’efforcer de les surmonter. J’ai dirigé mes équipes pour développer et évaluer des ressources multimédias visant à éliminer les obstacles au don, notamment la série vidéo whiteboard, une bibliothèque d’histoires sur le don de cellules souches intitulée Why We Swab, et une chaîne TikTok – qui mettent toutes en scène des personnes de diverses origines encourageant leurs communautés à devenir des donneurs.

À l’heure actuelle, je dirige les efforts visant à organiser ces multimédias en campagnes axées sur le recrutement de groupes démographiques spécifiques, en collaboration avec des volontaires et des partenaires de ces communautés (par exemple, Black Donors Save Lives, East Asians Save Lives, South Asians Save Lives, Iranian Donors Save Lives). En outre, la campagne Saving Lives with Pride du Stem Cell Club permet aux gays, aux bisexuels et aux autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (gbHSH) de savoir qu’ils peuvent faire un don de cellules souches, ce qui contribue à la mise en place d’un registre de donneurs plus inclusif et à l’engagement de donneurs issus de groupes démographiques nécessaires qui ne se seraient peut-être pas engagés autrement. La conduite de ces campagnes a nécessité de nombreuses compétences différentes – en plus de transmettre des informations médicales et scientifiques complexes d’une manière facilement compréhensible, le matériel doit également être optimisé pour chaque groupe et s’attaquer aux obstacles spécifiques au don. Ce travail est significatif pour moi, et il a également été gratifiant de mettre en lumière les contributions de groupes démographiques racialisés et mal desservis grâce à ces campagnes.

Dr Murdoch Leeies

Je travaille cliniquement comme médecin spécialiste du don d’organes dans le cadre du programme Gift of Life de Transplant Manitoba. Grâce à ce travail, j’ai réalisé que notre système de santé soutient structurellement des pratiques et des procédures racistes, homophobes, transphobes et stigmatisantes à l’égard des personnes séropositives. Ces problèmes s’entrecroisent également avec les différences d’accès aux services de santé en fonction de la géographie, du statut socio-économique ainsi que des niveaux d’éducation et de connaissances en matière de santé. Je crois que chaque Canadian (et chaque personne) a le même droit fondamental de bénéficier de soins de santé équitables afin de leur permettre d’atteindre leur plein potentiel de santé et bien-être.

C’est ce qui m’a motivé à élaborer un programme de recherche visant à explorer et à mieux comprendre les inégalités actuelles dans le système de don et de transplantation d’organes et de tissus au Canada, dans le but ultime d’élaborer des stratégies fondées sur des données probantes pour atténuer ces inégalités.

Quels sont les obstacles les plus importants pour les membres 2SLGBTQIA+ en matière de don et de transplantation, et comment la recherche pourrait-elle aider à les surmonter ?

Dr Warren Fingrut

Les personnes 2SLGBTQIA+ sont confrontées depuis longtemps à des obstacles au don et à la transplantation. Au cours des dix dernières années, nous avons assisté à une évolution des politiques canadiennes concernant l’admissibilité au don de sang pour les gays, les bisexuels et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (gbHSH), bien que ces politiques empêchent toujours la majorité des gbHSH d’être des donneurs de sang. Cependant, depuis 2009, les gbHSH peuvent s’inscrire comme donneurs de cellules souches (et d’organes et de tissus) et faire des dons aux patients dans le besoin, mais peu de membres de la communauté 2SLGBTQIA+ (et peu de Canadiens en général) le savent. Pour remédier à cela, en 2018 et 2019, le Stem Cell Club a mené une campagne pilote pour recruter des donneurs lors d’événements de la Fierté à travers le Canada. Puis, en 2021, nous avons lancé la campagne Saving Lives with Pride qui présente un ensemble de ressources multimédias pour sensibiliser les membres de 2SLGBTQIA+, notamment les gbHSH, au don de cellules souches. La campagne souligne également que des membres de ces communautés sauvent déjà des vies grâce au don (par exemple, William Ashby-Hall, un homme gay qui a donné ses cellules souches pour sauver la vie de Susan Doherty, une résidente de Montréal ; voyez l’histoire sur Instagram).

Pour guider cet effort, nous avons organisé des groupes de discussion avec des donneurs gbHSH potentiels admissibles, et un thème qui est ressorti est l’inquiétude que les donneurs 2SLGBTQIA+ soient mal traités par le système de santé – comme cela a été et continue d’être le cas pour ces communautés dans de nombreux établissements de santé. Sur la base de cet apprentissage, nous avons collaboré avec des hématologues spécialistes de la transplantation pour élaborer des déclarations vidéo soulignant que les donneurs de toutes orientations sexuelles et identités de genre seront traités avec dignité et respect, en reconnaissant l’héroïsme de leur don (p. ex., vidéo YouTube). Les participants aux groupes de discussion qui ont suivi ont indiqué que ce message avait contribué à les rassurer sur le fait qu’ils seraient bien traités en tant que donneurs. Un travail similaire est nécessaire dans le domaine du don : les prestataires de soins de santé doivent s’unir pour faire savoir aux personnes 2SLGBTQIA+ qu’elles sont admissibles, qu’elles sont désirées et qu’elles seront respectées en tant que donneurs. La recherche peut nous éclairer sur la meilleure façon d’éliminer ces obstacles au don.

Il existe également d’importants obstacles à l’inclusion des gbHSH en aval du recrutement. Dans de nombreuses juridictions, y compris au Canada, les donneurs gbHSH de cellules souches et d’organes et tissus qui sont compatibles avec un patient dans le besoin ne sont pas autorisés à procéder à un don sans l’acceptation explicite du centre de transplantation et de l’unité de collecte. Ce traitement inégal est injuste et stigmatise davantage les donneurs gbHSH. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour réviser ces politiques afin qu’elles donnent la priorité à l’équité en matière de santé et à la sécurité des patients.

En outre, les personnes transgenres et non-binaires sont également confrontées à des obstacles à l’inclusion. Par exemple, la plupart des registres de donneurs ne recueillent pas et ne répertorient pas actuellement le sexe (pertinent en raison de considérations biologiques, notamment les différences dans le système immunitaire) et l’identité de genre (information importante pour garantir que les donneurs sont traités avec dignité et respect). Des recherches sont nécessaires pour développer et évaluer des approches visant à impliquer et à inclure les personnes trans et non-binaires en tant que donneurs, en partenariat avec les membres de ces communautés.

Dr Murdoch Leeies

C’est une grande question ! Je commencerai par dire que j’ai un certain nombre de projets en cours et en phase de planification pour mieux comprendre les inégalités que subissent les populations 2SLGBTQIA+, mais notre travail préliminaire a déjà révélé un certain nombre de problèmes.

L’une des principales iniquités structurelles est le traitement différencié des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) en tant que donneurs d’organes potentiels. Les règlements et les processus relatifs aux HSH dans le système de don et de transplantation d’organes et de tissus au Canada sont fondés sur une compréhension dépassée du risque d’infections transmises par le sang, comme le VIH, l’hépatite C et l’hépatite B. Plutôt que d’identifier les donneurs potentiels d’organes et/ou de tissus qui présentent un risque accru de transmission de ces infections en fonction des comportements qui les exposent réellement à un risque accru, nous avons maintenu des politiques discriminatoires à l’égard des personnes en fonction de leur orientation sexuelle. Un exemple direct est que notre système actuel rejetterait un homme séronégatif pour le VIH et l’hépatite et engagé dans une relation monogame à long terme avec un autre homme qui souhaiterait faire don de ses cornées et d’autres tissus après sa mort, mais accepterait les mêmes tissus d’un homme hétérosexuel qui a eu des rapports sexuels non protégés avec de multiples partenaires féminines à haut risque. Le même système pourrait accepter le don des organes solides de l’homme homosexuel mais les qualifier d’« organes à risque accru » (même s’il était dans une relation monogame à long terme et qu’il n’avait pas d’infections transmissibles par le sang) sans qu’il y ait un processus de consentement éclairé normalisé ou transparent concernant le traitement différent de ces organes.

En outre, une planification insuffisante de la protection de la vie privée peut entraîner l’exclusion par inadvertance de donneurs 2SLGBTQIA+ potentiels. Des méthodes obsolètes de documentation clinique des variables sociodémographiques des patients peuvent conduire à un traitement inéquitable des personnes cisgenres et transgenres avec une application erronée des critères qui étaient censés être basés sur le sexe biologique. Il existe également des problèmes de discrimination à l’encontre des personnes séropositives (ainsi que des partenaires sérodiscordants séronégatifs de personnes séropositives).

Notre programme de recherche commence par un travail exploratoire pour mieux comprendre et caractériser les inégalités actuelles et, surtout, nous engageons des personnes 2SLGBTQIA+ comme partenaires de recherche dès le début. Cela permettra de formuler des questions de recherche pertinentes pour les populations qu’elles ont l’intention de servir et de planifier des méthodes de recherche qui tiennent compte de la culture et nous aident à sélectionner des résultats pertinents pour les personnes 2SLGBTQIA+.

Récemment, la Société canadienne du sang (SCS) a annoncé que Santé Canada avait approuvé sa demande de supprimer les critères d’admissibilité spécifiques aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et de se concentrer plutôt sur les comportements sexuels. De votre point de vue, quel travail reste à faire pour augmenter les dons des communautés 2SLGBTQIA+ ?

Dr Warren Fingrut

La modification prochaine des critères d’admissibilité des donneurs de sang, qui seront neutres sur le plan du genre (et du comportement sexuel), constitue une étape importante vers un système d’approvisionnement en sang plus équitable. Cependant, une fois ce changement entré en vigueur, des efforts considérables seront nécessaires pour informer les gays, les bisexuels et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (gbHSH) de leur admissibilité, les inviter à participer au don de sang et de plasma et leur faire savoir qu’ils seront respectés en tant que donneurs. Il existe également une stigmatisation du don des gbHSH. Les campagnes visant à rendre hommage à ces donneurs et à mettre en évidence leur contribution au sauvetage de vies humaines contribueront à réduire cet obstacle et à augmenter les dons des personnes 2SLGBTQIA+.

Dr Murdoch Leeies

Ce changement historique constitue un grand pas vers une stratégie d’évaluation équitable des risques pour les donneurs de sang potentiels au Canada. Je m’associe à la SCS pour une grande partie de mes recherches sur le don d’organes et elle a toujours été un fervent défenseur de la recherche axée sur l’amélioration de l’accès et des résultats pour les populations ciblées. Le passage d’une politique discriminatoire fondée sur l’appartenance à un groupe à une approche fondée sur le risque comportemental est le résultat d’un investissement ciblé de ressources dans la recherche dans ce domaine. Cet investissement a conduit à ce changement de politique historique qui favorise l’équité pour les Canadiens tout en maintenant la sécurité de l’approvisionnement en sang.

Le résultat de cette avancée dans le domaine du don de sang est un écart grandissant entre les donneurs d’organes et de tissus et les receveurs de greffes 2SLGBTQIA+ et les donneurs et receveurs de sang 2SLGBTQIA+ en termes de traitement équitable fondé sur des preuves au sein de notre système de santé. L’évaluation du risque pour les donneurs de sang et les donneurs d’organes et de tissus se chevauche énormément et les leçons tirées des investissements dans l’évaluation du risque d’infections transmises par le sang chez les donneurs de sang 2SLGBTQIA+ serviront directement à cette même évaluation pour les donneurs potentiels d’organes et de tissus. Un investissement similaire dans la recherche sur l’impact de l’appartenance à 2SLGBTQIA+ sur le don et la transplantation d’organes et de tissus est nécessaire aujourd’hui pour garantir que nous fournissons ces services de santé de manière équitable.

Le don d’organes et de tissus est véritablement le don de la vie et je crois de tout cœur qu’il profite non seulement au receveur, mais aussi au donneur et à sa famille. Cependant, notre travail dans ce domaine ne doit pas se concentrer exclusivement sur l’augmentation des dons provenant des communautés 2SLGBTQIA+. Nous devons nous associer aux personnes 2SLGBTQIA+ sur un chemin de découverte et de réconciliation. Nous devons reconnaître les préjudices du passé et la discrimination structurelle actuelle auxquels ces personnes sont confrontées. Ce n’est qu’alors que nous pourrons honnêtement et en collaboration aller de l’avant dans la réforme de notre système de don et de transplantation d’organes et de tissus pour en faire un système équitable pour tous les Canadiens. Il s’agira d’un système qui augmentera les dons des personnes 2SLGBTQIA+ qui le souhaitent, mais qui s’attaquera également aux inégalités d’accès et améliorera la sécurité des personnes 2SLGBTQIA+.

Comment le CDTRP pourrait-il soutenir les prochaines étapes de votre travail ?

Dr Warren Fingrut

Les patients issus de communautés racialisées/ethniques sont confrontés à des disparités dans leur représentation dans les pools de donneurs de sang, de cellules souches, d’organes et de tissus. L’une des approches permettant de remédier à ces disparités consiste à mettre au point des campagnes qui s’attaquent à des obstacles spécifiques au don, pertinents pour tous les produits de don – par exemple, en étendant la campagne Black Donors Save Lives du Stem Cell Club pour parler du don de sang et d’organes et de tissus en plus des cellules souches. Il est également nécessaire d’étendre la campagne Saving Lives with Pride du Stem Cell Club pour mettre en évidence les contributions des personnes 2SLGBTQIA+ qui donnent du sang, du plasma, des organes et des tissus ainsi que des cellules souches. Je poursuis actuellement ces deux voies, et je me réjouis de collaborer avec le PRDTC et ses membres dans ce domaine.

Dr Murdoch Leeies

Je suis heureux de communiquer et de collaborer avec d’autres chercheurs du réseau du PRDTC soucieux de l’équité en matière de santé et de justice sociale. Alors que nous nous engageons dans notre processus d’engagement des patients et des communautés, j’espère que le PRDTC pourra mettre en relation notre groupe du Manitoba avec d’autres juridictions. Je serais reconnaissant au PRDTC d’amplifier nos résultats par le biais de ses propres communications et réseaux sociaux. Je demanderais également au programme de subventions du PRDTC de nous garder à l’esprit lors de futures demandes de soutien à la recherche sur les 2SLGBTQIA+ et d’autres populations qui subissent actuellement des inégalités et méritent des changements structurels du système de santé afin que nous puissions fournir des soins optimaux et équitables.

Équité, diversité et inclusion dans le partenariat patient

Ne manquez pas les docteurs Fingrut et Leeies durant le Forum des patients, familles et donneurs du PRDTC, le mercredi 22 juin 2022, dans le cadre du bloc sur l’équité, la diversité et l’inclusion dans le partenariat patient, de 11h à 13h HAE.